Sans arme, ni barreau, ni haine : les prisons norvégiennes

Le Corail - Raconter pour engager
5 min readJan 15, 2021

Alors que dans la plupart des pays, le système carcéral semble défaillant (surpopulation, mauvaises conditions de vie, violence, …), la Norvège a décidé d’investir dans des « prisons de luxe ».

« Ce n’est pas dans l’intérêt public de punir sévèrement les détenus et de les laisser pleins de haine et d’amertume.”

Chambre privée, écran plat, coach sportif, santé et formations gratuites : voilà quelques-uns des nombreux privilèges dont profitent les détenus en Norvège. Pour certains, ces conditions de vie s’apparentent plus à un séjour en camps de vacances qu’à une sanction pénale.

Quoi qu’on en dise, ce système semble fonctionner puisque la Norvège a un des taux de récidive les plus bas au monde. 5 ans après leur sortie, seuls 25% des ex-détenus récidivent alors que l’on dépasse les 60% en France et même les 80% aux États-Unis.

Mais avant d’aller plus loin, il est important de bien comprendre les spécificités de ce pays scandinave.

La Norvège

Au-delà de sa politique carcérale, la Norvège est exemplaire sur beaucoup d’autres aspects. D’ailleurs, elle tient la 1ère place dans le classement de l’indice de développement humain.

Avec 38 prisons, 2700 prisonniers et 73% d’occupation, ce vaste pays de seulement 5,5 millions d’habitants n’a pas à se soucier de la surpopulation carcérale. À titre de comparaison, la France compte 90 détenus pour 100 000 habitants (contre 49 en Norvège) et dépasse les 100% d’occupation.

En Norvège, il n’y a pas non plus de peine de mort ni de condamnation à perpétuité : tous les prisonniers finissent par sortir. Il est donc indispensable de penser à la réintégration de chaque détenu dans la société, quel que soit le crime qu’ils ont commis.

« On prépare les détenus pour leur libération, et ce dès le premier jour d’incarcération. »

Pour maximiser les chances d’une réinsertion réussie, il n’y a pas que le confort des bâtiments ou l’organisation d’activités qui entrent en compte. Les gardiens jouent eux aussi un rôle central dans ce système alternatif, à commencer par le fait qu’ils n’ont pas d’arme.

La sécurité dynamique

Pour assurer le maintien de l’ordre et éviter les débordements, le personnel des prisons norvégiennes utilise le principe de « sécurité dynamique ».

Le concept est audacieux : les gardes se mêlent aux détenus et restent en permanence à leurs côtés. De cette façon, ils sont capables d’éviter les éventuels conflits en désamorçant immédiatement les situations qui posent problème.

“Nous ne voulons pas de colère ni de violence dans cet endroit. Nous voulons des détenus calmes et paisibles.”

Les gardes, ne portent pas d’arme à feu. À la place, ils travaillent, mangent, font du sport et se promènent avec les prisonniers.

Ils accompagnent les détenus dès leur arrivée pour les aider à trouver leur motivation et à préparer leur sortie, aussi bien sur le plan professionnel que personnel.

En Norvège, les gardiens de prisons sont formés pendant 2 à 3 ans afin de pouvoir tenir ce rôle qui s’apparente à celui d’accompagnateurs sociaux.

Halden : la prison la plus « humaine » au monde

De toutes les prisons de Norvège, celle d’Halden est certainement la plus reconnue pour son fonctionnement alternatif.

Là-bas, les fenêtres n’ont pas de barreau, il n’y a pas de tour de guet, pas de fils barbelés ni de clôture électrique. Si le bâtiment n’était pas entouré de murs, ça ne ressemblerait en rien à une prison.

« Personne n’a jamais essayé de s’échapper »

Dans ce bâtiment moderne et esthétique, les prisonniers peuvent suivre des cours de chimie, de physique et de philosophie ou se spécialiser dans 1 des 7 formations professionnelles, reconnues par un diplôme d’état. Ils peuvent également participer à des ateliers créatifs et apprendre à jouer d’un instrument de musique dans les 3 studios d’enregistrement de la prison.

D’ailleurs, certains détenus en profitent pour préparer leur carrière. Dans cette prison, on a déjà produit plusieurs albums de musique et édité un livre de recette de cuisine.

On aurait presque envie d’y faire un séjour.

Un coup de pub ?

La Norvège a donc trouvé un système carcéral alternatif, à la fois « humain » et efficace ?

Ça paraît trop beau pour être vrai… ou du moins pour être totalement désintéressé.

Si Halden est aussi connue à l’international c’est qu’elle sait se rendre très médiatique. Chaque semaine, des groupes de journalistes de toutes nationalités sont invités à venir découvrir la recette miracle d’Halden. Michael Moore y a même consacré un documentaire.

La prison possède également sa propre marque. À plusieurs endroits de la prison, on peut voir des œuvres murales réalisées par l’artiste Dolk, une version Norvégienne de Banksy.

Coût de l’opération : 1 million de dollars.

On retrouve cette oeuvre sur de nombreux supports promotionnels et objets « souvenir » vendus en boutique.

La prison « la plus humaine du monde » a même remporté plusieurs prix de design pour son architecture élégante et minimaliste.

Certains prisonniers affirment qu’il ne s’agit que d’une façade conçue par la direction afin de rendre la prison célèbre, nous expliquant que la vie en prison restait difficile.

C’est vrai que quand on voit la reprise de « we are the world » par les gardiens de la prison pour son ouverture en 2010, on se dit que c’est peut-être un peu exagéré …

Conclusion

Comme d’autres petits pays avec une culture forte de l’innovation, le « succès » de la Norvège au point de vue international dépend beaucoup des nouveaux modèles qu’elle parvient à mettre en place.

Cependant, ce modèle coûte extrêmement cher et ne semble pouvoir fonctionner qu’à petite échelle. Une place à Halden coûte plus de 110.000€/an tandis qu’en France c’est en moyenne 60.000€/an.

“Si vous voulez de la qualité et des résultats de haut niveau, nous avons besoin d’argent”

Même pour la Norvège, ce système pourrait être compromis en cas de ralentissement de l’économie. Avec la diminution des profits de la production pétrolière en mer du Nord, le gouvernement a averti que des coupes drastiques vont intervenir.

Dans le même temps, la diminution de la récidive permet aussi de faire baisser le nombre de détenus et donc le coût global.

Le modèle pourrait donc être intéressant financièrement ?

Quoi qu’il en soit, si l’on souhaite construire une société plus inclusive et faire baisser le taux de criminalité, la prison doit mieux préparer les détenus à la sortie et leur permettre d’avoir une réelle seconde chance.

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