Consigné à domicile
La consigne c’est pas nouveau. Et pourtant, ça fait bien longtemps qu’on n’achète plus son lait dans des bouteilles en verre réutilisables.
Depuis quelques années, le « zéro déchet » revient à la mode et avec lui le système de consigne.
Lorsqu’on vous apporte une bouteille en verre en terrasse de café, elle n’est généralement pas jetée lorsque vous partez. Elle est récupérée, renvoyée au fournisseur puis lavée et remplie à nouveau par le producteur.
C’est ça, la consigne.
C’est un peu comme en festival, quand vous payez la bière 1euro de plus, mais qu’on vous le rembourse dès que vous rapportez votre verre.
C’est simple : avec un système de consigne, vous ne payez plus le gobelet, juste la bière (le rêve).
Si ça paraît aussi bien, comment se fait-il que la consigne n’ait pas été mise en place PARTOUT ? Comment se fait-il que ce système ait disparu de nos habitudes ?
Et d’ailleurs, ça vient d’où la consigne ?
La consigne portée disparue
Avant la Seconde Guerre Mondiale, au temps de nos arrière-grands-parents, la consigne était une habitude, un geste évident du quotidien.
Pour acheter une bouteille de lait auprès du laitier ou un jus de fruits en épicerie, chacun payait quelques centimes de plus pour l’emballage, et cette somme était rétribuée quand les bouteilles ou bocaux étaient ramenés.
Et puis, les habitudes de consommation changent radicalement. Ce sont les 30 glorieuses, l’avènement du simple, du pratique, du rapide et du tout-automatisé.
Dans cette effervescence, les marques de grande distribution cherchent à centraliser leurs achats et à se distinguer. Plus question de partager des emballages : chacune propose son packaging, vante les mérites de l’objet individuel, tellement plus séduisant !
Léger et moderne, le plastique a conquis les Français et a fait du verre un matériau complètement dépassé. Et ce, avant qu’on sache recycler le plastique ou le revaloriser.
Le laitier du coin a perdu du galon. Peu rentables, les allers-retours nécessaires à la consigne ont été écartés. Pour gérer l’amoncellement alarmant des déchets, on a trouvé la parade : le tri sélectif.
Pourtant, aujourd’hui, malgré les objectifs ambitieux des gouvernements successifs, le recyclage en France ne représente que 86% des verres, 60% des plastiques et 43% des canettes.
La consigne, un modèle gagnant-gagnant
Puisque le recyclage n’a pas tenu ses promesses, des initiatives récentes considèrent de nouveau les avantages de la consigne.
Premièrement, elle fait faire des économies à tout le monde.
Au producteur d’abord : plus besoin de produire des centaines de bouteilles, il suffit de laver et réutiliser celles qui existent déjà.
Au consommateur ensuite : le prix de l’emballage lui est épargné, et il n’a plus à se préoccuper de son recyclage.
À terme, c’est la société dans son ensemble qui bénéficie doublement de la consigne : moins de dépenses liées à la production et au recyclage, c’est aussi moins de pollution.
Mais la consigne, c’est avant tout un moyen de rassembler les acteurs locaux autour d’une chaîne de production et de distribution.
Tout doit être adapté, du transport à la collecte en passant par le conditionnement ou l’étiquetage. C’est l’occasion de créer une filière et donc de l’emploi, ainsi que de revitaliser des territoires en créant des partenariats.
La dimension communautaire y est primordiale : grâce au contact direct avec les consommateurs, on crée du lien social, et on accorde de la valeur au produit et au métier plus qu’au packaging.
Et ça, « La Consignerie » a décidé d’en faire son cheval de bataille.
LA CONSIGNERIE, ” trait-d’union entre le producteur et le consommateur”
Cette startup lancée en janvier 2020 par Franck Royer et Pierre Devred après un séjour chez Ticket for Change est un peu l’étendard de l’artisanat consigné sur le territoire de la Métropole lilloise.
Pour valoriser le terroir de la région et le savoir-faire, l’équipe s’associe à une cinquantaine de producteurs alimentaires et cosmétiques engagés, dont 70% sont locaux : la consigne s’intègre comme une réponse cohérente au défi logistique.
“La consigne est venue comme du bon sens, on ne réinvente rien”
La startup achète les produits en gros et remplit ses bouteilles, sacs et bocaux, étiquetés avec la marque de l’artisan. Les contenants sont ensuite commandés pleins sur le site, livrés à domicile à vélo, puis récupérés lors de la commande suivante pour être lavés et remis sur le circuit.
Bien que Franck déclare ne rien inventer, le modèle de La Consignerie est on ne peut plus moderne. Beaucoup plus variée que celle proposée par nos aïeux, leur offre a aussi le mérite d’être centralisée sur une marketplace, où un clic permet d’accéder à son compte privé.
Avec plusieurs centaines de clients, La Consignerie porte un système prometteur à l’échelle locale qui peut avoir vocation à être répliqué.
Le retour de la consigne ?
Seulement en France, même si quelques beaux exemples existent, la consigne reste à l’initiative de quelques startups locales.
Chez nos voisins allemands en revanche, la consigne a été organisée à l’échelle nationale par le gouvernement dès les années 90. Aujourd’hui, le “Pfand”, du nom de la loi, est une véritable institution, une habitude bien ancrée qui fait figure d’exemple.
Des conteneurs automatiques sont installés dans les grandes surfaces et servent de dépôt aux contenants ramenés et scannés par les habitants, qui récupèrent l’argent de la consigne comme dans un distributeur. Très efficace, le système permet aujourd’hui de récupérer 90% des déchets soumis au Pfand.
La startup française Loop s’est justement inspirée du Pfand pour lancer un projet pilote en partenariat avec Carrefour depuis 2020. Grâce à un système de code barre et d’application, Loop compte étendre la consigne à une vingtaine de grandes marques, comme Coca, Evian, Ricoré, ou encore Chocapic.
Conclusion
Alors, sommes-nous en passe de déguster une bonne bière un peu moins chère, dans des bouteilles en verre, éthiques et solidaires ? (oui oui, on fait aussi des rimes)
Notons que ce modèle reste intéressant uniquement si la distance parcourue est inférieure à 100km pour éviter les émissions, et qu’un changement national nécessiterait beaucoup de planification pour transformer les emplois.
D’ailleurs, alors que le Pfand est quasiment devenu un geste citoyen grâce aux pouvoirs publics, la consigne à la française, laissée aux marques, pourrait être récupérée comme un modèle stratégique de développement, sans recherche de cohérence écologique et sociale.
Mais laissons sa chance à la consigne.
Avec le renforcement régulier des normes de gestion des déchets, de plus en plus d’entreprises s’interrogent sur leur modèle, par conviction ou par souci de rentabilité.
Des projets comme La Consignerie, essaimés sur le territoire, ou comme Loop, avec l’arrivée de la grande distribution, peuvent démocratiser la consigne 2.0.
Alors, tchin !